Le sondage, un outil de mesure de l'opinion ? |
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Le sondage d'opinion est un outil particulièrement utilisé par
les entreprises, les médias ou encore les partis politiques. Les objectifs
sont très divers et parfois même multiples : par exemple avec une enquête
de satisfaction d'un produit, il s'agira d'améliorer le produit (emballage,
forme, les campagnes de communication...). Ou encore, la commande d'un
sondage par un magazine sur un sujet à la mode. L'objectif est tout
d'abord la vente des titres avant de réaliser une enquête sur le sujet. Pourtant, le sondage est considéré comme un moyen d'acquérir des éléments d'informations utiles à l'activité d'une organisation (parti politique, entreprise...) et permet de prendre des décisions plus pertinentes. Par exemple, une association anti-tabac peut chercher à savoir quelle est l'image du tabac auprès des fumeurs afin de mieux orienter une campagne de prévention. Il faut cependant s'interroger sur la valeur scientifique d'un sondage. Le sondage d'opinion est un phénomène de société dans la mesure où il fait partie du paysage médiatique. Les chiffres des sondages sont utilisés dans l'argumentaire du débat public. Il n'est pas rare d'entendre à la radio la diffusion de résultats de sondages "x % des français pensent que...", ou encore, de voir en page de couverture d'un magazine : "sondage exclusif, les français et...". La seule invocation de chiffres confère au discours une valeur scientifique. Quelle réalité les sondages reflètent-ils ? il s'agit de présenter ici de possibles sources d'erreurs, des façons de manipuler les résultats (intentionnelles ou non) ou encore de mauvaises interprétations. |
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Les principaux demandeurs de sondage d'opinion |
Cinq grands types |
Qu'est-ce qu'un sondage d'opinion? |
Définition du sondage |
La formulation du questionnaire
peut-elle influencer les résultats?
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La compréhension des questions | Les
questions peuvent être comprises de façons très différentes selon le contexte. 1. Selon les termes employés Une formulation supposée très proche ou même synonyme en apparence peut être entendue de façon radicalement différente. -selon les personnes interrogées Exemple 1 "Prenez vous souvent des vacances?" Le terme "souvent" peut être compris comme une fois par semaine ou une fois par an. Exemple 2 La difficulté d'interprétation peut provenir d'une manipulation plus ou moins intentionnelle des termes employés: 1er exemple: ambiguïté sur le sens des mots suivants : croire, penser, vouloir, IFRES-groupe UDF de l'assemblée nationale, 22 octobre-2 novembre1983 "En cas d'alternance du pouvoir, croyez-vous qu'il faudra dénationaliser?" On peut croire (penser) que la dénationalisation sera inévitable car cela est cohérent avec une politique de droite. On ne sait pas si on répond à la question :"êtes vous d'accord sur le fait de dénationaliser?" ou bien plutôt à "y aura t-il dénationalisation?" Exemple 3 Concernant le type d'énergie (charbon, solaire, nucléaire) selon que la question portera sur le souhait du type d'énergie qu'il faut développer ou le pronostic de l'énergie qui se développera à l'avenir, les résultats vont être différents. L'erreur est d'interpréter les réponses différentes comme des souhaits. Ainsi, lorsque les personnes répondent majoritairement que le nucléaire est l'énergie qui se développera dans le futur, il est aisé de dire que la majorité des personnes est favorable au nucléaire. -selon les groupes sociaux Exemple L'insécurité pour les personnes à revenus élevés recouvre le vol, la dégradation de biens alors que les personnes à revenus modestes, cela signifie plutôt le chômage, la précarité de l'emploi. Pour palier ces problèmes, il est possible d'avoir recours à un questionnaire plus approfondi, des échantillons plus vastes ou encore un pré sondage pour tester la compréhension. Cependant, ces solutions ne sont généralement pas utilisées dans les sondages d'opinion commercialisés. |
Les questions induisant une réponse | |
1."Etes-vous d'accord..." la réponse sera plutôt positive, les personnes préfèrent ne pas afficher un désaccord. | |
2. L'ordre des questions La réponse à une question peut être influencée par les questions précédentes. Exemple : "Est-ce que la venue de la gauche au pouvoir a eu des effets économiques catastrophiques?" On fait d'abord appel à la mémoire et la question suivante portera sur les intentions de vote aux prochaines élections. |
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3.
Les échelles d'appréciation La façon de découper l'appréciation induit des résultats parfois différents : Exemple : annexe de l'ouvrage de Jean De Legge : entre une échelle à 4 items "très satisfait, assez satisfait, assez peu satisfait, et pas du tout satisfait et une à 6, le nombre de satisfaits varie de façon importante. |
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4. La question comporte une précision qui peut induire une réponse
plutôt qu'une autre Exemple : formulée par les élus majoritaires à l'assemblée nationale du Quebec 1994, question portant sur l'indépendance du Quebec "Etes vous en faveur de la loi adoptée par l'assemblée nationale déclarant la souveraineté du Quebec?". Il est noté que cette question a déjà été tranchée à l'assemblée (suite à la mise en cause de cette question par les anti-indépendantistes, elle a été modifiée). |
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5. La question comporte une appréciation positive ou négative Exemple : "Je me sens de plus en plus éloigné des grands syndicats qui s'intéressent plus à la politique nationale qu'aux problèmes des travailleurs des entreprises? (enquête de la COFREMCA 1985). Des qualificatifs négatifs comme "s'interressent plus ...... qu'à..." contiennent explicitement un jugement de valeur négatif. La question contient sa justification. |
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Le contexte | 1. L'actualité Le sens d'une question peut varier aussi selon l'actualité (exemple sur la peine de mort, si une série de crime est décrite dans les media ou si des reportages montrent l'attente des condamnés à mort..). |
2.
Le contexte de l'interview Souvent dans le contexte d'un sondage marchand pour des raisons de baisse de coût, dans une seule interview, différents sondages sont effectués, sorte de "pots pourris", la rapidité est l'objectif. La personne interrogée se voit demander dans la foulée son opinion sur le Premier Ministre, si elle connait les couche cullotes X, si elle est pour ou contre la "location d'utérus".... La personne déroutée et agacée peut tout simplement bâcler ses réponses. Compte tenu de la difficulté de rendre compte de l'opinion des individus, plus le questionnaire est dense (en étant toufefois raisonnable dans sa longueur) plus il permet la multiplication d'approche des angles d'un même problème et meilleurs seront les résultats. |
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Relation interviewé - sondeur Les personnes peuvent être moins "honnêtes" lorsqu'elle sont placées face à une personne. Exemple sondages sur la prévention contre les dangers d'exposition au soleil ou encore sondage sur l'alcoolisme. Les personnes interrogées hésitent à afficher un comportement à risque face à leur interlocuteur. Ou bien de façon purement logique, les personnes vont répondre aux questions de façon cohérente alors qu'elle ne le seraient pas forcemment dans un autre contexte. |
Quelles sont les limites de la
technique du sondage ?
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Effet de consensus | 1. Hypothèse de consensus sur le problème à étudier D'une façon plus générale, un effet de consensus est induit par le fait même de faire un questionnaire sur un thème choisi et imposé. Il faudrait préalablement poser la question de la pertinence d'un questionnaire sur un tel problème, c'est-à-dire de l'intérêt personnel que les individus accordent au thème étudier par l'enquête. |
Les opinions ne s'additionnent pas | 2. Toutes les opinions se valent Comme exposé précédemment, tout le monde n'a pas d'opinion préconçue sur tout. Les individus de par leurs intérêts, leur vie professionnelle, conditions de vie, relations, activités ...n'ont pas toujours les connaissances suffisantes pour porter un jugement, ni même, réfléchi à la question qui leur est posée. A l'intérieur d'un pourcentage de "oui" ou de "d'accord", "satisfaits"... est regroupé un certain nombre d'avis, d'opinions qui ne signifient pas la même chose (voir même qui peuvent être divergents si on tient compte des problèmes de compréhension). Par exemple, pour une élection, selon Bourdieu, le clivage gauche droite selon l'intérêt pour la politique n'est pas appréhendé à la même échelle par les individus (ex : gauche-droite, ou encore extrême gauche, gauche, centre gauche, centre ...), "on additionne des gens qui mesurent en centimètre avec des gens qui mesurent en kilomètre". Le corollaire est que le questionnaire donne l'illusion d'un consensus sur le problème abordé. Les personnes interrogées répondent de la même façon standardisée (selon les choix possibles, oui, non, plutôt satisfait....) alors que leurs réponses recouvrent des opinions très diverses. Celà suppose même de pouvoir trancher sur le thème en question, en terme de oui/non,d'accord, etc.... Pour éviter cet effet de consensus et comprendre ce qui se cache derrière les réponses, le questionnaire est généralement constitué de plusieurs questions (inexistant dans les consultations électorales). Les réponses de oui ou non seront ventilées selon un certain nombre de possibilités limitées qui ne balayeront qu'imparfaitement l'ensemble du spectre des opinions individuelles. L'opinion révélée par le sondage reste quelque chose d'artificiel, de construit dont il est difficile parfois d'y voir une information objective et pertinente. |
Quelle est la valeur des résultats
?
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Cas où la description de l'échantillon est insuffisante | La
description de l'échantillon interrogé Souvent les erreurs d'interprétation proviennent du fait de la pauvreté de la partie identification des personnes interrogées dans le questionnaire. Exemple : les personnes agées n'aiment pas l'agitation dans les ville La relation est indirecte. Derrière ce phénomène en allant plus loin, il est possible de dire que la proportion de personnes d'origine rurale est beaucoup plus grande que parmi les jeunes. |
Cas où l'objectif du sondage est multiple | L'objectif
n'est pas seulement de fournir un résultat La formulation de la demande de la part du client : selon son objectif, les résultats seront plus ou moins pertinents La demande formulée n'est pas toujours neutre mais de façon non consciente (ses préocupations peuvent transparaitre dans la formulation des questions, ne va pas aller au fond des chose, va oublier des aspects négatifs) Exemple : la demande faite par des médias soucieux de s'attacher un public : avec les baromètres d'opinion des hommes politiques, le but est multiple : 1.Décrire l'opinion des personnes 2.Mais aussi de s'attacher un public en allant le consulter. Conséquence : description d'une opinion oscillatoire sans qu'il soit possible de comprendre les raisons profondes. Le changement de l'opinion est comparable à un phénomène météorologique dans la mesure où il ne suit pas de logique particulière (du moins celle-ci n'est pas décrite par le sondage). De plus, la politique est réduite à un jugement sur l'homme politique : approche simpliste de la politique Le fabricant de sondage est censé imposer un minimum de rigeur, mais de par sa relation client fournisseur (et en fonction de l'importance du client), il a une certaine marge de manoeuvre pour lui imposer une certaine rigueur dans la formulation des questions. La qualité des résultats est très dépendante des objectifs poursuivis. |
Conclusion |
La
réalisation d'un sondage d'opinion est délicate du fait même que l'opinion
des individus est difficile à observer et donc à comptabiliser. Dans
la mesure où les questions peuvent être mal interprêtées, ou bien
mal organisées, ou encore trop imprégnées d'idées reçues, en somme
peu objective (de façon intentionnelle ou non), les résultats s'interprètent
difficilement à la première lecture (voir l'étude des non-répondants,
la description des personnes interrogées, le contexte...). Il
s'agit d'étudier à présent dans quels cadres les sondage d'opinions
sont mis en oeuvre et de voir de quelles façons les résultats
sont utilisés et interprétés. Quel est le rôle
du sondage d'opinion ? à suivre
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Les sources
Jean-Claude COMBESSIE | La méthode en sociologie | La Découverte - Collection Repères 1996 |
Pierre BOURDIEU | Questions de sociologie | Les Editions de Minuit - 1984 |
Encyclopédie Universalis | L'opinion publique | |
Encyclopédie Universalis | Sondages d'opinion | |
Hélène
Y. MEYNAUD Denis DUCLOS |
Les sondages d'opinion | La Découverte - Collection Repères 1996 |